Introduction
« La lutte contre nos propres faiblesses (…) quelles que soient les difficultés créées par l’ennemi, cette lutte contre nous-mêmes est la plus difficile, tant pour le présent que pour l’avenir de nos peuples » Amilcar Cabral, La Havane, 1966.
« Désormais, chacun est sentinelle de sa propre vie »
Général San Martín, 1815.
Les Dialogues pour un Internet citoyen ont réuni en septembre 2017 près de 70 participants de tous les pays d’Amérique latine et des Caraïbes, ainsi que des invité(e)s venant de l’Inde, des États-Unis et d’Europe. Pensée dans la perspective du Forum Social d’Internet, cette rencontre s’est déroulée autour de trois axes thématiques et groupes de travail, faisant alterner des tables rondes et des plénières sur une durée de trois jours de dialogue. Les conclusions socialisées au cours de la réunion ont été publiées sur le site al.internetsocialforum.net.
Ce texte vise à fournir une lecture transversale des débats et des lignes directrices qui ont émergé de la rencontre. Plusieurs facteurs motivent cet effort: premièrement, la question d’Internet et sa relation complexe avec la société constituent un champ systémique et intersectoriel qui bouscule nombre de schémas d’analyse habituels. Par ailleurs, la rencontre, en tant que court et intense moment de communication et de réflexion, produit un « tout » qu’il est toujours difficile – voire impossible – d’embrasser. Dans ce sens, il est utile d’explorer plus largement les contenus du débat et de pratiquer un aller-retour entre les expériences particulières et les réflexions d’ensemble. Enfin, les dialogues misent justement sur une pensée participative et inclusive, moins encline aux postures avant-gardistes, spécialisées ou théoriques.
En somme, le défi est de penser en réseau en prenant appui sur la multiplicité des points de vue et des expériences. Ce texte ne se substitue pas aux éléments socialisés au cours du processus de la rencontre et postérieurement. Au contraire, il les intègre et tente de les relier. Sur le plan méthodologique, nous avons collecté les prises de note et les propositions de chaque espace de discussion (plénières et groupes de travail), pour ensuite les organiser au sein d’un logiciel de cartographie relationnelle dont le résultat est consultable en ligne sur www.desmodo.net/dialogos_citizens/ (le logiciel libre Desmodo utilisé pour la cartographie s’apparente à d’autres outils d’analyse qualitative assistée par ordinateur – famille des CAQDAS). Naturellement, le texte qui suit est inséparable de l’élaboration subjective et intellectuelle de son auteur.
1. Une mosaïque d’idées sur fond de paysage stratégique
De la même manière qu’un marcheur s’avance dans un nouveau paysage, observant d’abord ses grandes lignes puis les éléments détaillés à mesure de sa progression, nous pouvons distinguer cinq axes émergents autour desquels s’organisent les constats et propositions débattus à Quito:
- 1. Réinterpréter Internet et mesurer son métabolisme: Internet a changé de nature et continue à perturber profondément de multiples structures de la société. À tel point que nous sommes entrés dans une nouvelle ère du réseau, très différente de ses origines remontant aux alentours de 1993. Cela implique un effort d’observation critique, de mesure de son métabolisme et plus largement de renouvellement du cadre d’interprétation du cyberespace.
- 2. Projeter un nouvel horizon de mobilisation: au-delà des éléments de supériorité technologique, il existe aujourd’hui une asymétrie narrative et idéologique qui penche en faveur des grands acteurs d’Internet. Cette asymétrie renvoie à la nécessité d’un nouvel horizon de lutte et de mobilisation pour les promoteurs d’un Internet ouvert et citoyen.
- 3. S’allier et articuler: dans un espace de connectivité expansif et horizontal, les approches sectorielles, thématiques ou spécialisées d’Internet, même si elles restent nécessaires, ne sont pas appropriées pour produire un effort de compréhension et de réappropriation citoyenne. Des alliances multi-sectorielles ainsi que des ponts entre identités sociales et initiatives thématiques sont essentiels.
- 4. Consolider un acteur collectif: promouvoir la construction d’un Internet citoyen implique un acteur collectif capable d’impulser un agenda de transformation. Cet acteur collectif n’est pas synonyme de création d’une institution formelle et délimitée, mais surtout d’une capacité à engager un processus, un agenda commun, un réseau décentralisée capable de combiner une unité de perspectives avec une diversité d’initiatives.
- 5. Approfondir de nouveaux paradigmes: Internet est et demeurera un vecteur de perturbation de la citoyenneté, de structures sociopolitiques et de l’économie. Il est porteur d’un horizon émancipateur « post-capitaliste », mais il faut pour cela repenser certains cadres conceptuels et approfondir de nouveaux paradigmes, notamment dans le domaine de l’architecture de régulation des réseaux, de la conception même de la politique, des biens numériques et de la richesse.
Ces cinq axes, intimement liés entre eux, se dégagent dans le panorama général de la rencontre. Ils décrivent les différents facettes d’une même perspective.
Il est important de noter que les dialogues ont été marqué, au sein de presque tous les espaces de débat et en particulier les premiers jours, par le besoin de caractériser la réalité et les transformations liées à l’évolution d’Internet. Pour les participants, le cheminement a en général consisté à d’abord se situer face à un contexte, socialiser les critiques, évaluer leur degré de consensus puis ensuite aller vers la formulation de propositions. Tous les éléments de diagnostic n’ont pas pu être inclus dans ce travail. En revanche, toutes les propositions sont incorporées à partir de ce que chaque groupe a produit collectivement selon la méthodologie définie par les organisateurs.